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Miroirs

Chers amis lecteurs,

 

Aujourd'hui, je partage avec vous cette nouvelle que j'ai eu l'occasion de présenter à un concours sur le site "Monbestseller" en juin dernier, et pour laquelle j'ai eu la joie et l'honneur de remporter un prix : le prix de la "psychiatrie".  Titre assez surprenant, je l'admets, et qui m'a fait sourire.

 

Bonne lecture !

 


 

 

   5h30.

   Quel bonheur de se réveiller !

   Même à l'aube.

   Même un jour férié.

   Quand on vient de faire un horrible cauchemar.

 

  Pelotonnée sous la couette, Julia était trempée de sueur de la tête aux pieds. Élancements dans le crâne. Palpitations cardiaques. Si les cauchemars avaient eu leur concours, le sien eût sans doute remporté le César. Imaginez : un matin au réveil, un parfait inconnu est endormi dans votre lit. Il n’est autre que votre tendre amoureux, mystérieusement métamorphosé en une espèce de monstre hybride, mi-homme mi-bête !

Brrr… Rien que d’y repenser, Julia en eut des frissons.

 

 

   Noir total et silence absolu dans la chambre. D’habitude, si ces conditions sine qua non étaient réunies, la jeune femme insomniaque parvenait à s’endormir. Sauf ce matin-là, évidemment. Impossible ! L’angoisse lui étreignait la gorge. Elle était glacée. Tout son corps disjonctait : muscles tétanisés ; galop cardiaque ; algies cervicales lancinantes. Son cauchemar insensé la maintenait malgré elle en état de tension extrême. Elle s’en voulut pour son émotivité exacerbée, et se secoua sans ménagement en son for intérieur : ce n’était qu’un fichu rêve ! Allez hop, rendors-toi en vitesse, ou tu vas finir par réveiller Tom ! En parlant de Tom…c’est bizarre… je n’entends plus ses si agréables ronflements de marmotte. Pour un peu, ils me manqueraient, tiens ! Et puis, quelle glacière, cette chambre ! 

 

 

   Julia était en train de remonter la couette sous son menton, lorsqu’elle perçut un grognement sur sa gauche. Un son étrange, guttural, bref, qui ne dura que deux ou trois secondes. Puis, de nouveau le silence. Au deuxième grondement, plus intense et plus long, son amoureux se retourna vers elle. À moins qu’il ne le fît de l’autre côté ? Elle n’y voyait rien du tout, en cette nuit noire. Une angoisse insensée continuait à lui serrer la poitrine, comme si, curieusement, elle se trouvait encore dans son cauchemar. Et pour cause : les grognements de bête agressive étaient les mêmes que ceux de son rêve. Identique également, l’odeur âcre de sueur et d’alcool mélangés. C’est du grand n’importe quoi ! Quelle froussarde ! se tança-t-elle. Tu es réellement dans ton lit, là, aux côtés de Tom. Il a pris une douche hier soir avant de dormir, et il ne boit jamais d’alcool ! Comme pour mieux s’en convaincre, elle se retourna vers lui et se mit à scruter l’obscurité. Elle distingua une silhouette corpulente à la chevelure ébouriffée, mais ne put voir les traits de son visage. Elle n’entendait que le son de sa bouche qui s’était remise à grogner.

 

 

   Soudain… là… juste à quatre ou cinq centimètres d’elle : deux yeux brillants injectés de sang en train de la fixer en silence avec une intensité terrifiante. Julia était tétanisée, muette de stupeur. Son cœur s’emballa. Son souffle s’arrêta.

 

   Quelques secondes plus tard, les yeux lasers étaient éteints. Soulagement en demi-teinte pour Julia, indécise. Que faire ? Rester immobile et attendre ? Oui, mais attendre quoi ? Allumer ? Au moins, elle serait fixée. Oui, mais… si c’était vraiment le monstre de son rêve ? 

Tout ça n’a aucun sens, tu débloques complètement, ma pauvre… se sermonna-t-elle.

 

 

   Dans le chaos de ses pensées confuses surgit une idée : elle allait se lever dans le noir sans faire de bruit, puis elle l’observerait à la lumière de son smartphone. Sans plus attendre, elle se retourna le plus délicatement possible, puis fit glisser progressivement son corps vers le bord du lit.

Elle s’apprêtait à toucher le sol du bout des orteils, lorsque brusquement, une poigne brutale la retint fermement par le bras. Elle hurla de terreur.

Subitement, tout s’accéléra. Un flot de lumière jaillit et révéla la terrifiante réalité : au-dessus d’elle, l’être abominable de son cauchemar. Hirsute, yeux exorbités, sourcils froncés, bouche déformée en un rictus démoniaque, il lui maintenait fermement les deux bras en arrière. Le bas de son corps trapu appuyait lourdement sur son ventre. Julia était terrorisée. Terrorisée et abasourdie : la créature menaçante qui la retenait prisonnière n’était autre que Tom, son compagnon.

 

   Son Tom… et quelqu’un d’autre en même temps.

 

   C’était bien son corps athlétique, son beau visage anguleux au front haut. C’étaient bien ses lèvres généreuses, oui, mais distordues. Ses grands yeux noisette, mais obscurcis par un regard cruel.

C’est alors que tout lui revint en mémoire : « Ma chérie, lui avait annoncé Tom ce matin-là, ce que je vais te dire va sûrement te faire de la peine, mais j’y suis obligé, je n’ai pas le choix. Je n’ai pas le droit de te faire ça… » D’un tempérament jaloux, Julia avait pensé au pire. Tom était peut-être sur le point de lui avouer l’existence d’une rivale… Mais ce n’était pas le cas.

 

   Il eût peut-être mieux valu, pourtant.

 

   Sans tergiverser, il lui avait révélé d’une seule traite l’un de ces secrets qui font froid dans le dos : atteint du trouble dissociatif de l’identité, sa personnalité multiple était composée de neuf identités distinctes, la plupart inoffensives, certaines beaucoup moins. La plus dangereuse se prénommait Alec, surnommé « le cruel » par Tom lui-même.

 

   « Le mieux pour nous est de nous séparer rapidement, avant que tu ne commences à souffrir de mes changements d’humeur intempestifs », avait-il déclaré. Je n’aurais pas dû t’entraîner dans cette histoire. C’est mieux pour ta sécurité, crois-moi. Laissons-nous le temps de digérer notre rupture, mais pas trop longtemps quand même, car j’ignore à quel moment "Alec le cruel" pourrait resurgir ».

 

   Julia en était restée bouche bée. Sur le moment, elle n’y avait pas crû, pensant que Tom lui faisait une mauvaise blague. Hélas, elle avait dû se rendre à l’évidence. Toutefois, elle avait refusé catégoriquement de se séparer de lui. Ils affronteraient le problème ensemble, voilà tout.

 

   Très amoureux, et convaincu par les arguments de Julia, Tom lui avait accordé un « essai », tout en la mettant en garde : « D’accord, je capitule, mais je t’en prie, mon amour, surtout, si un jour Alec devait se manifester d’une façon ou d’une autre, enfuis-toi en courant ! Le plus vite possible, le plus loin possible ! »

 

   À présent, nul doute : l’homme qui lui maintenait toujours les deux bras d’une poigne de fer, tout en lui soufflant en pleines narines son haleine avinée, était bien « Alec le cruel ». Or, dans la position où elle se trouvait, s’enfuir relevait carrément de l’utopie !

 

   « Tu n’es pas Alec, tu es Tom ! » hurla-t-elle, paniquée, pour dissuader la "bête" de ses funestes intentions. Pas de réponse. La créature se contenta de hocher la tête de droite à gauche d’un air soudain désemparé, sous l’œil interloqué de Julia, inconsciente des pensées troublées de « Tomalec » :

Seb m’avait bien prévenu, pourtant, j’aurais dû l’écouter : sois prudent, Tom. Cette fille est schizophrène. Surtout ne la laisse pas t’approcher. Elle voit des monstres partout !

 

MPV

 



11/01/2024
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